
Entre image en direct et souffle cristallin, Résonances unit la chanteuse irano-américaine Yasi et l’artiste numérique Judith Darmont pour une traversée sensorielle fascinante. Sur la scène d’Artiflexlab, nouveau laboratoire dédié aux arts hybrides et aux expériences immersives, les deux créatrices fusionnent leurs univers en une œuvre en mouvement, où la lumière respire et la voix s’incarne en pixels.
Une rencontre entre l’organique et le numérique. D’un côté, Yasi, exploratrice de la voix et des fréquences, formée dans la diaspora entre Téhéran, Los Angeles et la France, sculpte les sons comme des ondes vivantes. De l’autre, Judith Darmont, pionnière française des arts numériques, transforme les images en matière sensible. Leur projet commun naît de cette alchimie rare : faire dialoguer l’immatériel du son et la vibration lumineuse de l’image.
L’espace brut d’Artiflexlab accueille cette première unique comme une expérience totale. Le public, assis autour d’un vaste écran de projection, entre dans un dispositif circulaire qui efface toute frontière entre scène et spectateur. Rien n’est figé : chaque geste, chaque modulation s’invente dans l’instant.
Judith et Yasi évoquent la création du spectacle Résonances
« Judith : Résonance, c’est nous. Il englobe nos deux univers. C’est le son, les images. C’est aussi nos origines. C’est un mélange entre le Moyen-Orient, la France, les Etats-Unis. C’est notre côté nomade.
Yasi : Ce que je trouve intéressant c’est que nous avons déconstruit le format du spectacle. On a beaucoup répété chacune de notre côté mais aujourd’hui, on ne savait pas du tout ce que l’autre allait faire. J’ai besoin de cette liberté d’expression. »
Acte I – Amour au Zénith
Assise à cour, Judith Darmont tisse en direct un rideau visuel en noir et blanc. Les formes abstraites ondulent comme une calligraphie numérique. Derrière ce voile en franges, Yasi, silhouette blanche et diaphane, fait résonner ses bols de cristal, de cuivre et de verre. Sa voix de soprano, à la fois ancestrale et futuriste, mêle les inflexions des chants amérindiens et des voix bulgares à la rigueur du lyrisme. Peu à peu, elle avance vers la lumière, portant dans ses mains un bol scintillant : le plateau devient un temple acoustique, où chaque vibration semble répondre à une onde visuelle.
Acte II – Immersion of Love
La seconde séquence ouvre sur une expansion cosmique. Accroupie près du sol, Yasi fait chanter ses bols, une shruti-box indiennne, un bâton de pluie et ses propres harmoniques. Autour d’elle, Judith projette en direct une succession d’univers : galaxies, visions de la terre et de la nature, jusqu’aux cellules. Les images respirent à mesure que la musique ondule, créant une impression de cycle du vivant – du micro au macrocosme. L’œil et l’oreille plongent ensemble dans un espace suspendu où le réel se dissout dans le rêve.
La mise en oeuvre visuelle de Résonances de Judith Darmont
« Dans Amour et Zénith, je suis partie sur des choses très organiques, sur le noir et blanc. J’ai voulu que Yasi soit dans une sorte de matrice de sons et de fréquences. Dans Immersion of Love, on est nature, cellules, grains de sable. On fait partie du vivant. J’ai donné un côté fractal à l’image où on rentre dans une sorte d’infini de la même image. Entre moi et Yasi, il y a une dimension immersive. C’était intéressant, de la voir être complètement dans son interprétation ce soir. Nous l’avons déjà fait ensemble et c’était complètement différent. »
Deux artistes, une même vibration
Leur collaboration repose sur une improvisation maîtrisée, sans répétition préalable. Yasi et Judith se rejoignent dans l’instant, laissant les émotions guider le processus. « La part des sensations est essentielle », confie Judith Darmont, dont la pratique de la performance numérique s’inspire du jazz et de la liberté gestuelle des improvisateurs. Yasi, elle, conçoit la voix « comme une énergie vitale, un souffle qui relie le corps au monde ». Ses influences lyriques qui vont d’Edward Elgar, Richard Strauss et Gabriel Fauré, nourrissent une démarche intuitive, ancrée dans la mémoire de son exil et l’universalité du son. Leur alliance crée un pont entre tradition et modernité, matière et lumière, terre et cosmos.
La quête de la voix pour Yasi
« Je suis passionné par la voix. Elle me transmet des messages. J’écoute ce qu’elle me raconte et pas ce que les mots me racontent La voix transmet beaucoup de fréquences et de vibrations. Il y a dix ans j’ai commencé à étudier d’un chant lyrique et je veux comprendre les techniques employées pour projeter la voix. C’est pour moi un défi personnel de pouvoir gérer mon instrument. Tout vient du diaphragme. »
L’écho d’une expérience singulière
Lorsque les lumières se rallument, un silence dense précède les applaudissements. Le public quitte la salle comme traversé par une onde douce et persistante, semblable à la rémanence d’un rêve. Résonances n’est ni concert, ni performance visuelle, mais un état de grâce temporaire où deux artistes inventent un langage sensoriel commun. Elles nous laissent une trace durable entre persistance rétinienne et écho sonore.
On attend déjà le prochain corps à corps créatif entre ces deux femmes, sachant que chaque expérience sera unique, portée par le souffle de l’improvisation. Une expérience artistique à suivre, inlassablement nouvelle.
Jean-Claude Djian





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