Diella la ministre IA
Diella la ministre IA © Gouvernement Albanais

Avatar en costume traditionnel sur deux écrans géants, discours huilé vantant la transparence et la neutralité, promesse d’extirper la corruption des appels d’offres : Diella, ministre IA made in Tirana, a fait sa grande entrée au Parlement albanais. Résultat : huées, boycott, projectiles… et un Premier ministre chahuté par sa propre utopie numérique. 

Une ministre sortie du code

Avant de récupérer un portefeuille Diella « Soleil » était un simple chatbot administratif. Développé par l’AKSHI (Agence nationale pour la société de l’information), ila été programmé pour aider les citoyens dans leurs démarches. C’était sans compter sur Edi Rama, Premier ministre, en quête de symbole fort contre la corruption, qui en a fait une ministre : Diella, intelligence artificielle est désormais responsable des appels d’offres publics. Pour le chef du gouvernement albanais, c’est la neutralité algorithmique contre les trafics d’influence ; pour ses partisans, une révolution technologique et politique. Sur ses écrans, Diella a un visage doux et porte des habits traditionnels albanais. Une icône de transparence dans une démocratie déréglée.

L’opposition crie à l’imposture

Mais le 18 septembre, lors de sa première intervention au Parlement, l’atmosphère s’est fissurée. Alors que Diella expliquait calmement « ne pas vouloir remplacer les humains » mais « les aider », l’opposition l’a copieusement huée. « Une ministre inconstitutionnelle », ont fulminé certains députés. Boycott du vote, cris dans l’hémicycle, projectiles lancés vers les écrans : la scène ressemblait davantage à une rébellion contre un spectre numérique qu’à un débat parlementaire.

Le discours de Diella, la ministre IA. Reportage TV5 Monde

Une IA qui « se sent blessée »

Là, surprise. Comme si elle avait de l’orgueil, Diella prend la parole pour dire « être blessée » par les accusations d’illégitimité. Une ministre synthétique qui parle de ses émotions : le glissement est brutal, presque grotesque. Les députés éclatent de rire ou s’étranglent d’indignation. L’opposition dénonce un coup de com’ électoral et saisit la Cour constitutionnelle. L’écran reste allumé, obstiné, visage programmé impassible au milieu du vacarme.

HAL 9000 Collection Christophel © Metro Goldwyn Mayer

La tentation HAL 9000

Adopté à 82 voix, le programme d’Edi Rama sort miraculeusement indemne de ce psychodrame numérique. Mais l’image reste : celle d’un Parlement en guerre contre un spectre codé. Derrière le folklore high-tech, une question pulse : qu’advient-il d’une démocratie où un code source siège à la table du pouvoir ? On pense à HAL 9000, l’ordinateur trop humain de Kubrick dans 2001, l’Odyssée de l’espace. Une voix qui dit « je vous aide », mais qui finit par décider toute seule.

Tirana n’est pas encore dans l’espace, mais le 18 septembre, elle a touché du doigt une dystopie : celle où les gouvernés ne hurlent plus contre leurs dirigeants, mais contre leurs écrans.

Jean-Claude Djian

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