Au cœur de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, l’exposition « L’œil de Roger Corbeau » plonge dans l’univers d’un photographe passionné par les visages des acteurs. De salle en salle, on suit son parcours, de 1933 à 1980, où chaque tirage raconte une histoire d’amour pour le cinéma, sculptant des icônes sous une lumière qu’il inventait lui-même, souvent en plusieurs heures de patience complice.

Une écriture photographique de plateau
L’exposition invite à découvrir la diversité du travail de Roger Corbeau (1908-1995) , où les portraits d’acteurs comme Arletty, Jean Marais, Brigitte Bardot et Simone Signoret dialoguent avec les réalisateurs emblématiques qu’il a accompagnés, de Marcel Pagnol à Orson Welles en passant par Jean Cocteau et Claude Chabrol. Son matériel, essentiellement un Rolleiflex, est présenté, ainsi que des mashups mêlant extraits d’interviews de réalisateurs, documentaires sur ses tirages de photos et extraits de films. Le parcours muséal met aussi en lumière son exigence technique et artistique, montrant comment il créait ses images en modifiant parfois la lumière sur le plateau, composant des scènes qui prolongent le récit cinématographique.
Isabelle Champion, co-commissaire de l’exposition (historienne du cinéma)
« C’est une composition magique, de la rencontre entre un œil de photographe, une actrice et un acteur qu’il idolâtre. Que ce soit Arletty, Annabella, Harry Baur, Michel Simon, Raimu et tant d’autres. En règle générale, tous les acteurs étaient très contents de travailler avec Corbeau, sauf qu’il leur demandait beaucoup de temps. Corbeau ne se servait pas de la lumière des chefs opérateurs. Il avait pris de la graine chez Armand Thirard, Christian Matras et bien sûr avec Henri Alekan. Tous ces grands chefs opérateurs l’ont formé. Il y avait une confiance et un respect mutuel extrêmement important, ils considéraient Corbeau comme un technicien à part, qui faisait son œuvre à part. Cela illustre comment Corbeau était dans sa bulle intérieure en créant son propre film à partir du scénario, de ce qu’il savait des acteurs et de l’amour inconditionnel qu’il avait pour eux. Il s’attachait plus au personnage qu’au portrait de l’acteur. Il les isolait sur un fond neutre ou avec un élément de décor pour recréer ensuite sa propre lumière et son propre univers. »
Les débuts et le cinéma d’avant-guerre
Arrivé à Paris en 1931, Corbeau débute sur les plateaux comme accessoiriste avant d’être repéré par Marcel Pagnol, qui lui confie la photographie de ses films, notamment La Femme du boulanger. La richesse du noir et blanc sublime ici la profondeur dramatique des comédiens, dans un cinéma qui fait la part belle à l’expressionnisme théâtral. Ses portraits témoignent de cette époque où le photographe participe activement à la mise en forme des images, défiant la promotion standard et donnant au film une autre dimension par l’image fixe.
Stéphanie Salmon, co-commissaire de l’exposition
« Roger Corbeau, pour moi, c’était un nom mythique, l’un des grands photographes de plateaux de l’après seconde guerre mondiale. Avoir la chance de pouvoir présenter ces photos, selon une proposition de Isabelle Champion, c’était merveilleux. Ce qui a été très beau, c’est quand on a ouvert toutes les deux les cartons et qu’on a, pendant plusieurs mois,trié et choisi les photos. On savait que Roger Corbeau était un grand portraitiste, mais à travers la sélection, ce qui m’a étonné, c’est l’évolution dans sa façon de faire le portrait. Il réinvestit toujours le sujet du portrait pour essayer, à travers le visage, de raconter le film. En créant une relation avec l’acteur, il va rendre compte de la psychologie des personnages à travers leurs visages, pour les photographier. »
Résistance, cinéma et mutation après-guerre
La guerre interrompt son travail. En tant que juif, Corbeau se cache puis rejoint la Résistance, ce qui marque à jamais son regard. À la Libération, son retour sur les plateaux est ainsi nourri d’une nouvelle intensité. Il collabore avec Jean Cocteau pour Orphée, avec Robert Bresson et Orson Welles, traversant la transition du noir et blanc à la couleur dans les années 1950. Ce passage, comparé au tournant du cinéma muet au parlant, pousse Corbeau à réinventer son style sans abandonner son obsession pour la lumière et l’ombre, la dramatisation et le portrait psychologique.
Cycle La cinéphilie inspirante de Roger Corbeau
Roger Corbeau est devenu photographe grâce à sa passion pour le cinéma. Du 17 décembre au 3 février 2026, la Fondation Pathé nous invite à découvrir ou à redécouvrir aujourd’hui les films que Roger Corbeau voyait enfant avec sa mère à Haguenau puis adolescent à Strasbourg. Parmi les films présentés notons le serial en deux parties de Fritz Lang (Les Araignées) ou son film-fleuve fondateur (Les Nibelungen), entre le vent, le ciel et les tempêtes de Jean Epstein (Finis Terrae) ou les chefs-d’œuvre de Carl Theodor Dreyer (Vampyr, La Passion de Jeanne d’Arc). On peut encore citer les trois grandes comédiennes (Marion Davies, Colleen Moore, Bessie Love) signées par King Vidor, Alfred E. Green et Frank Capra. Côté comédies on citera encore (Je ne voudrais pas être un homme) de Ernst Lubitsch, ainsi que la somptueuse satire aristocratique d’ Erich von Stroheim avec Mae Murray et John Gilbert (La Veuve joyeuse). Ne sont pas oubliées (L’Argent) de Marcel L’Herbier, ainsi que (La Petite marchande d’allumettes) de Jean Renoir.
L’œuvre de Roger Corbeau, visible à la Fondation Pathé, reste une référence rare dans l’histoire visuelle du cinéma français. Avec plus de 160 films photographiés, son approche artistique a élevé la photo de plateau au rang d’art narratif. Aujourd’hui, le métier tend à décliner, remplacé par des images figées sans âme sur les plateaux. L’exposition invite à repenser la place essentielle du photographe de plateau dans la mémoire cinématographique. Un regard qui manque au cinéma contemporain.
Jean-Claude Djian
L’œil de Roger Corbeau – Photographies de cinéma
Jusqu’au 21 février 2026
La cinéphilie inspirante de Roger Corbeau
Du 17 décembre au 3 février 2026
Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
73 avenue des Gobelins, Paris 13e













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